mercredi 4 mars 2015

La faune et la flore

La saint Valentin, c’est le contraire du père Noël, on aimerait que ça n’existe pas mais il y en a toujours une pour vous rappeler que ça existe. C’est pourquoi le 14 février dernier, afin d’éviter qu’une inconnue se déclare être ma conjointe à la dernière minute pour profiter d’une formule dîner spectacle gratuite, j’ai décidé de m’envoler au Maroc. Radical mais efficace. Pour ce faire, j’ai pris un avion muni de 2 ailes et de 5 heures de retard.  Marocains et français ont parfois des divergences mais quand il s’agit de leur vol retardé, ils se donnent la main pour pouvoir gueuler ensemble sur l’hôtesse de l’air, qui fait tout pour les embêter. La pauvre m’a fait beaucoup de peine, alors quand elle s’est penchée sur mon siège, au bord de la crise de nerf, pour me demander si je souhaitais un verre d’eau exceptionnellement offert par la  compagnie low cost en guise de dédommagement, je lui ai adressé un sourire compatissant et dit « non merci ». C’est con, j’avais soif. Cette tension ambiante était fort inutile puisque le pilote nous avait patiemment expliqué le pourquoi du comment c’était pas sa faute si on aurait eu plus vite fait d’aller au Maroc en optimist qu’avec lui. Apparemment, l’avion prévu pour le vol n’avait pas pu décoller d’Agadir parce qu’il était un peu cassé, alors ils avaient dû en trouver vite vite un autre. Mais à la compagnie onestnichernialheure Airlines, ils ont pas non plus tout plein d’avions. Alors ils ont cherché partout mais pas moyen de dénicher le moindre avion, ou un ULM, pas même un deltaplane, rien. Alors là, le directeur a proposé d’affréter un bateau mais le stagiaire qui venait re-remplir le café pour tout le monde et dont la belle-sœur est originaire de Cahors a dit «je crois qu’il y a pas la mer à Toulouse monsieur ». Stupeur dans l’assemblée, coups de téléphones en catastrophe, dépassements de forfait et au final, location à une compagnie portugaise d’un avion qui n’avait pourtant pas de poil sous les ailes. Moi j’ai trouvé très intéressant ce long exposé plein de pédagogie que le pilote nous a susurré d’une voix calme et chaude parce que sans ça, j’aurais pu penser qu’ils avaient 5 heures de retard juste pour le plaisir de bien nous faire chier. En fait non, ils avaient pas fait exprès.
On a fini par décoller pour un vol tranquille où on a longé la chaîne enneigée de l’Atlas jusqu’à Agadir. A la douane, j’avais précautionneusement ouvert mon passeport à la page ou je voulais le tampon parce que j’aime bien qu’ils soient tous les uns à la suite des autres, c’est mon côté hôpital psychiatrique.  Le douanier m’a regardé, a tourné 3 pages, et a mis son gros tampon là, en plein milieu. Ce n’était que le début d’une longue série d’illogismes que seul ce beau pays peut offrir. Ensuite j’ai pris un taxi, conduit par un octogénaire malvoyant dont la Mercedes était plus vieille que lui et qui roulait exactement au milieu de la route pour sans doute vérifier si le marquage au sol était en bon état. Pourquoi pas. Mais quand un autre usager avait le malheur de le doubler, il se mettait à klaxonner et le poursuivait pendant quelques secondes, émettant bruyamment des hypothèses sur la profession libérale de sa mère, de sa sœur et de toutes les femmes de son entourage. On a fini par arriver à Taghazout en vie, lieu de pèlerinage de centaines de surfers européens en hiver, venus chercher vagues et températures clémentes. A peine sorti du taxi, mon tout premier contact avec les commerçants de Taghazout fût celui-ci :

         - Salam mon ami, t’y veux une écharpe ? On a di echarppes.
            -  Non merci !
            - T’y veux un bonnet ? On a di bonnets
        -  Non ça va, merci.
            - T’y veux un Tapis ? On a di tapis.
            - Non non !
            - T’y veux di épices ? On a di épices.
            - Non vraiment, j’ai besoin de RIEN.
        Ah mais on a rien aussi !

Maintenant, décrivons un peu ce nouveau pays si vous le voulez bien. Merci, vous êtes bien aimables.

Chapitre faune :

Au Maroc on trouve un peu partout des chameaux et des dromadaires, qui possèdent un nombre aléatoire de bosses dans lesquelles ils stockent des bouteilles de Volvic. Il n’est pas évident de distinguer l’un de l’autre. Heureusement l’éducation nationale française nous a appris la technique du nombre de syllabes, avant d’essayer de nous convaincre que l’on peut prénommer son enfant Ornicar sans avoir à en rougir. Le chameau possède deux bosses car son nom est constitué de deux syllabes. Pour les mêmes raisons, le dromadaire en possède quatre, l’une d’entre elle étant nettement plus grosse que les trois autres. Parfois des mutations génétiques regrettables donnent lieu à des chameaux dépourvus de toute bosse. On les appelle alors cheval. Ou chevaux si il y en a plusieurs. Plusieurs bêtes, pas plusieurs bosses, on est bien d’accord qu’ils n’ont pas de bosses.
Si vous ne savez pas compter les syllabes, le contraire m’aurait étonné, il existe une solution  plus directe qui consiste à aborder un autochtone, montrer du doigt le camélidé et demander « c’est  un chameau ça ? ». S’il répond « oui, c’est un chameau », c’est qu’il s’agit d’un chameau. A contrario, s’il répond « non, c’est une mouette » c’est qu’il vous faut penser à faire vérifier la rectitude de votre index auprès d’un professionnel de santé. 
Mais regardons la vérité de biais si vous souffrez de strabisme ou en face pour les autres : la faune est nettement moins variée ici qu’en Amérique du Sud. Seul point commun, on trouve des chiens errants partout partout partout. Certains d’entre eux ont une étiquette rose poinçonnée à l’oreille, montrant qu’ils ont été castrés et vaccinés contre la rage. Est-il plus effrayant de caresser un chien enragé ou un chien eunuque à boucle d’oreille, chacun se fera son opinion. Ce qui est certain, c’est qu’ils partagent les rues avec de très nombreux chats, espèce qui ne l’oublions pas, arrive en tête du très prestigieux classement Forbes des 500 animaux les plus  cons du monde. Pourtant, l’espèce humaine, elle aussi en bonne place dans ce classement, aime à caresser le pelage saturé de parasites du mignon petit chaton hideux. En conséquence, grâce à la récente abolition du lavage de mains décrétée dans tout le pays, il est plus que probable de finir par attraper cette fidèle amie que le voyageur a appris à tutoyer au fil des mois : La gastro-tourista-vomi-caca-dodo-pendant-24h. Voir suite.

Chapitre flore (intestinale) :

Surfant sur l’intérêt grandissant des français pour les cuisines exotiques, je vous propose une nouvelle chronique dans ce blog, la recette du vagabond. Cette semaine, découvrons ensemble la gastro-entérite à la berbère.

Difficulté : très facile
Prix : tous budgets
Temps de préparation : 8 à 12 heures
Temps de dégustation : 1 à 2 jours

Ingrédients pour plusieurs personnes (préférez des produits issus de l’agriculture biologique) :

-     1 estomac entier
-     Quelques mètres d’intestin grêle que vous pourrez enrouler si manque de place
-     Un gros intestin
-     1 œsophage et 1 anus fonctionnels
-     Un demi-poulet label rouge
-     Environ 300 grammes de beignets de calamars
-     Quelques olives vertes

Préparation :
Faîtes revenir le demi-poulet dans l’huile tiède de votre friteuse jusqu’à ce qu’il soit bien rose à l’intérieur. Laissez reposer 48 à 72 heures à l’abri du froid. Appelez votre chat, qui ne viendra pas par pour les raisons que l’on sait, puis cherchez-le et caressez-le abondamment. Pendant que le poulet repose, munissez-vous des calamars achetés le mois précédent, coupez-les en rondelles avec votre main gauche et agitez votre main droite horizontalement avec entrain. Répétez l’opération jusqu’à disparition de la dernière mouche.  A ce stade, si vous vous apercevez que vous ne vous êtes pas lavés les mains, ce n’est pas grave, vous pourrez le faire à la fin.  Faites ensuite frire les beignets dans l’huile du poulet, égouttez puis versez-les dans un plat qui traine au fond de votre évier depuis Noël. Si vos doigts sont devenus trop gras, léchez-les puis disposez joliment à la main les calamars autour du demi-poulet dans une assiette agrémentée de quelques feuilles de salade non lavées. Comme c’est une recette berbère, vous pouvez disposer ça et là quelques olives qui furent jadis vertes. La première étape est achevée, il ne vous reste plus qu’à déguster !

Pour la seconde étape, commencez par aller vous coucher. Une ou deux heures avant votre réveil habituel, levez-vous en sursaut de votre lit et courrez aux toilettes comme si une meute de hyènes boulimiques étaient après vous. Arrivé devant la porte des sanitaires communs, actionnez la poignée, qui reste bloquée puisqu’un des convives du dîner de la veille vous a devancé.  Sautillez sur place en fredonnant « allez, allez, allez ». Ne sautillez pas trop non plus. Une fois l’espace libéré et le trône salvateur en ligne de mire, c’est l’heure du Grand Choix. Asseyez-vous et vomissez sur vos genoux ou restez debout et...hum. Une fois débarrassé de tout ce poids superflu que la société de consommation vous impose, séchez la sueur qui perle dans votre dos, arrêtez de trembler et retournez vous coucher. Répétez l’opération jusqu’à l’obtention d’un appareil digestif bien vide : on doit pouvoir apercevoir vos pieds en regardant le fond de votre gorge. Félicitations, vous avez réussi votre première gastro-entérite à la berbère ! Si vous souhaitez partager cette recette avec vos amis, un petit bisou ou un éternuement suffisent !
                 
Pour élaborer cette nouvelle chronique, j'ai bien sûr fait le test pour vous il y a quelques jours, comme à chaque fois que je pars en voyage du reste. Le plaisir est le même, seuls les ingrédients changent. L’avantage au Maroc, c’est qu'on peut se procurer à la pharmacie toute sorte de choses sans devoir passer par cet intermédiaire inutile que l’on appelle médecin. Alors vive les olives avariées et l’auto-médication!
















Entracte

Je pensais partir entre trois et six mois, j’ai fait durer le plaisir une petite année. 

C’est passé vite mais le savais dès mon départ alors j’ai enregistré quelques images et sensations marquantes dans un coin de ma tête que je protège férocement d’Alzheimer. Ecrire ce blog m’a aussi permis de garder une trace de ce voyage qui me semble parfois n’avoir jamais eu lieu. Il m’a tenu compagnie dans les moments de solitude et m’a conforté dans l’idée que j’aime arranger les mots de telle sorte à faire sourire les gens. On se sent un peu différent quand on a passé tant de temps à se promener d’un pays à l’autre, gouverné par ses seules envies du moment. Tellement de paysages inhabituels, de gens particuliers, de situations intenses ou grotesques et tellement de vagues bien sûr. Vous vous en foutez vous de ces vagues, et pourtant, si vous saviez ! Parce que ce n’est pas qu’une histoire de glissade mes amis ! C’est aussi des journées à faire le bouchon dans l’eau en regardant planer les pélicans qui suivent la houle les uns derrière les autres en frôlant la surface. C’est des heures et des heures au coucher du soleil lorsque le vent se calme, que la horde rentre chez elle et ne restent là que quelques silhouettes sombres désormais muettes pour profiter des teintes qui changent à chaque minute, du calme qui s’installe, et de ces masses lisses qui avancent sans bruit. C’est aussi parfois des trombes d’eau démesurées qui tombent d’un ciel dont on jure qu’il était bleu la dernière fois qu’on a levé la tête, trombes d’eau aussi tièdes que la mer qu’elles remplissent avec tellement d’ardeur que les gouttes semblent autant venir d’en bas que d’en haut. Dans cette grande piscine blanchie par les impacts, il n’y a plus alors que des gamins espérant que ça va continuer encore un peu. C’est aussi des moments où on a peur, une peur que l’on fuie en temps normal mais que l’on recherche presque ici , puis en une seconde le plaisir prend la place sur tout le reste et alors on file, on file… Parfois on passe un peu de temps sous l’eau, parce qu’il faut bien saluer les poissons, on est chez eux quand même. C’est un ensemble de plein de choses qui pourraient vous donner l’envie d’y goûter et d’aimer ça. Mais n’en faîtes rien ! D’abord parce qu’on est complet désolé et puis parce que c’est aussi malheureusement un concentré de mâles débiles très prompts à aller taper sur leur prochain pour une vague gâchée, une priorité volée, un minuscule bout de territoire qui donne à l’homme l’opportunité d’être encore plus con, domaine dans lequel Dieu a déjà eu la main leste.

On se sent différent, ou peut-être que l’on a envie de se sentir différent après un long voyage, de se dire qu’on ne peut quand même pas rentrer en étant le même, qu’il y avait un sens un peu plus profond. Ca doit dépendre de chacun sans doute mais il est sûr que les centaines de conversations, de quelques secondes ou plusieurs heures, que j’ai pues avoir avec d’illustres inconnus aux parcours différents ont à chaque fois éveillé ma curiosité, muri ma pensée et façonné un imaginaire qui devrait me servir dans ma nouvelle voie. Après avoir répondu un nombre incalculable de fois aux traditionnels comment tu t’appelles, d’où tu viens, où tu vas, qu’est-ce que tu fais dans la vie, quel âge as-tu, depuis quand et pour encore combien de temps voyages tu, j’aurais pu me lasser néanmoins. Heureusement dans le lot, il y eut de belles rencontres ou des rencontres simplement atypiques, comme on peut en faire à tout moment dans la  vie mais en l’occurrence dans des lieux uniques, inhabituels, avec le temps devant nous pour juste profiter de la présence de l’autre. L’une de ces rencontres m’aura mené à passer cinq mois à New York après l’Amérique latine, non plus comme touriste mais comme travailleur illégal. Autre ambiance, au revoir les plages et le quotidien simple, bonjour la ville monde, l’effusion de possibilités, le bitume, l’eau et la nature en quelques stations de métro. Ville de show par excellence, de très nombreux comédiens ou humoristes tentent de percer dans le milieu et se produisent dans des multiples café-théâtre plus ou moins renommés. Je me suis joints à eux en écrivant pour l’occasion un sketch de 5 minutes en anglais que j’ai joué à trois reprises. Très bonne expérience, gros stress au départ et un accueil plutôt chaleureux à l’arrivée. Seul bémol, je n’ai pas pu être filmé et pourtant c’est un souvenir que j’aurais vraiment aimé ramener à la maison.

Un matin, après 10 mois passés hors du mode de vie que j’avais connu pendant 29 ans, il a fallu rentrer. Il faut bien l’avouer, je n’en avais pas la moindre envie. Rester en mouvement en se laissant porter par ses humeurs, quand on a la chance de pouvoir le faire, crée un sentiment comparable à de l’addiction. Il fallait peut-être y mettre un terme. Ou peut-être pas. En tout cas Noël est arrivé et m’a permis de revoir ma famille avec grand plaisir et mes amis avec grand plaisir et grandes bières. A tous ces gens qui me sont proches, je tiens à m’excuser pour mon caractère et mon moral en berne pendant cette période. J’ai dû composer avec certains évènements qui sont maintenant derrière moi et j’espère bien me rattraper à mon retour. Ah oui, parce que je suis reparti au fait ! Il faisait trop froid en France et ma boulangère faisait trop la gueule. Mais je suis pas reparti trop loin, au Maroc ça s’appelle, j’y surfe et quand il n’y a pas de vagues, j’écris quelques bêtises dans ma machine à écrire. Avec un peu de chance, je ferai ça pour la prochaine décennie.

Le lama mouillé.




P.S : Maman, Papa, ne vous faîtes pas de souci pour mon futur, je suis tombé par hasard sur une photo de moi dans 10 ans et apparemment tout va bien.

 Union square, New York